La Cage Dorée

CE ROMAN EST ACTUELLEMENT INDISPONIBLE, CAR EN COURS DE RÉÉDITION. IL SERA REPUBLIÉ PAR LES ÉDITIONS BLANCHE EN FÉVRIER OU MARS 2019.

UN TOME 2 EST PRÉVU. 
CEPENDANT, CE ROMAN PEUT SE LIRE INDÉPENDAMMENT.

AVERTISSEMENT : CE ROMAN CONTIENT DES SCÈNES DE VIOLENCE PHYSIQUE ET PSYCHOLOGIQUES INTENSES. LES LECTEURS AYANT UNE SENSIBILITÉ A CES SUJETS SONT INVITES A FAIRE PREUVE DE PRUDENCE. 
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HEATHER

Je tremble un peu en montant les marches qui mènent au studio photo. Je n’en reviens toujours pas d’avoir décroché ce stage, et quand j’ai envoyé le contrat, je m’attendais à tout moment à recevoir un coup de fil pour m’expliquer qu’il y avait eu une erreur. Mais Adam Brastov a bel et bien signé, et aucun coup de fil n’est arrivé, sauf de son assistante pour me préciser mes horaires. J’ai vraiment du mal à croire à ma chance. C’est mon prof, M. Guidan, qui m’a recommandé auprès du célèbre photographe, suggérant que mes productions étaient susceptibles de lui plaire. L’entretien s’est bien passé, mais M. Brastov n’a fait aucun commentaire en feuilletant mon book, à part pour me signaler une erreur de composition ; je n’espérais pas trop. Il m’avait tellement mitraillée de questions sur mes connaissances techniques que j’en étais sortie étourdie.
Ce matin, je me suis habillée avec encore plus de soin que d’habitude : une jupe crayon grise qui me couvre jusqu’en dessous du genou, et un chemisier à lavallière qui dissimule assez bien ma maigreur. J’ai coiffé mes cheveux en un chignon bas, d’où s’échappent quelques mèches, pour camoufler la hideuse cicatrice que j’ai sur le côté gauche du cou. Je n’ai mis que des bijoux discrets : de petites bouches d’oreilles en perle, et une chaîne en or au poignet. J’espère avoir l’air professionnelle sans faire trop guindée. Mes talons claquent sur les marches en métal de l’édifice ultramoderne. Je frappe à la porte, mais personne ne répond. Peut-être qu’ils ne m’ont pas entendue ? J’hésite à entrer sans plus de cérémonie quand derrière moi retentissent des pas précipités. Je me retourne, et un homme très grand manque de me rentrer dedans.
Je me plaque contre la porte et mes yeux remontent le long d’un torse incroyablement large et musclé, moulé dans un tee-shirt noir à la gloire d’un groupe de rock dont je n’ai jamais entendu parler. Un blouson en cuir, également noir, enserre les épaules les plus larges que j’ai jamais vues de ma vie, si larges qu’elles obturent la lumière de l’ampoule nue qui est censée éclairer la cage d’escalier ; de ce fait, j’ai du mal à distinguer les traits du visage qui me surplombe.
Qui êtes-vous ?
La voix est froide, méfiante, malgré son timbre agréable, très bas. Le son semble remplir l’espace exigu, et résonner contre les murs trop proches. Mon cœur s’est emballé, et je me recroqueville de peur, oppressée par sa présence qui envahit ma bulle personnelle, dans ce lieu où je suis coincée. Il barre la seule issue de sa silhouette trop massive.
Je suis la nouvelle stagiaire.
Je n’ai pas pu faire mieux que ce murmure haletant, à peine audible. Je ferme un instant les yeux en priant pour qu’il n’ait pas perçu le tremblement de ma voix, ni la peur sur mon visage.
-Qu’est-ce que tu fous là ? demande-t-il brutalement. Tu comptes rester à la porte jusqu’à ce que le majordome vienne t’ouvrir, princesse ?
Son bras me repousse sur le côté, et je sursaute en m’écartant de son passage tandis que d’un seul mouvement il ouvre la porte et entre dans le studio. Non sans me bousculer, évidemment.
Je pénètre à sa suite dans la petite pièce d’accueil et le vois disparaître par l’autre porte, qui mène sûrement au plateau. Une jeune femme se tient derrière le bureau de designer, elle me sourit en levant le doigt tout en poursuivant sa conversation téléphonique. Elle a une coiffure incroyable, une espèce de longue mèche rouge artistiquement dressée sur son crâne recouvert d’à peine un millimètre de cheveux. Elle parle dans un casque sans fil. Elle appuie sur un bouton de son standard high-tech, puis relève les yeux vers moi avant de se mettre debout.
Bonjour ! dit-elle d’un ton enjoué. Que puis-je faire pour vous ?
Je suis la nouvelle stagiaire, Heather Delacroix.
Ah oui, Adam m’a prévenue que tu devais arriver ce matin. On t’a déjà fait visiter ?
Non, pas encore. J’ai rencontré M. Brastov à l’école.
Tu étudies où ?
À l’EFET. Je suis en 2e année.
On a déjà eu des stagiaires de cette école l’année dernière. Bruno, et Isabelle. Ça s’était bien passé, je crois. Bienvenue, en tout cas. Je m’appelle Stefie.
Enchantée, je murmure en souriant gauchement. Et merci.
Attends une minute, j’appelle Adam pour voir s’il a le temps de te faire visiter et de te présenter tout le monde.
Je me retourne poliment pendant qu’elle parle au téléphone et admire les photos exposées sur les murs. En différents formats, avec des fonds de couleurs assorties, se présente un échantillon du travail du studio, soit une grande variété de produits, de la maroquinerie de luxe aux bijoux en passant par la lunetterie. Ce sont tous des packshots1, et l’effet est à la fois harmonieux et saisissant.
Heather ? Adam est trop pris pour te faire faire le tour de la maison. C’est Mélanie, son assistante, qui va s’en occuper. Elle arrive dans deux minutes.
Ok, merci.
-Tu verras, il y a une bonne ambiance, ici. On bosse beaucoup, donc heureusement !
Un nouveau coup de fil interrompt son laïus, mais je suis contente de constater que tout le monde n’est pas aussi mal embouché que le type sur lequel je suis tombée devant la porte.
Une femme d’une trentaine d’années arrive quelques minutes plus tard, vêtue d’un jean slim et d’un haut moulant et coloré. Elle me serre la main.
Mélanie, l’assistante d’Adam, se présente-t-elle. Et toi, c’est Heather, c’est ça ?
Oui.
Suis-moi, je vais te faire visiter. Ensuite, tu aideras Daniel à la prise de vue.
Je suis impressionnée par la visite des studios. Il y a deux plateaux de prise de vue, deux salles de retouche, dont une très design pour que les clients puissent donner leur avis, une salle d’impression, une autre de réunion, un salon d’essayage pour les mannequins, et aussi deux espaces pour les employés, dont un à l’extérieur, une terrasse avec une table et des chaises pour pouvoir manger dehors quand il fait beau. Mélanie m’explique que la plupart du temps, l’équipe fait appel à un traiteur qui livre les repas sur place, ce qui permet de gagner du temps.
Elle me présente l’équipe au fur et à mesure que nous avançons dans les différentes pièces. Une quinzaine de personnes travaillent ici. Les prénoms se mélangent rapidement dans ma tête. Il n’y en qu’un que je retiens : celui du géant patibulaire qui m’a bousculé dans l’entrée. Il s’appelle Ousmane, mais tout le monde l’appelle Phénix, parce que c’est un champion de kick-boxing, et que Phénix est son « nom de scène », d’après Mélanie. Ce gars est carrément terrifiant. Ses adversaires doivent s’enfuir du ring avant même qu’il commence à frapper. Son regard vert est méchant, il me jette un regard méprisant, et sa bouche prend un pli de dégoût tandis qu’il détaille mes vêtements.
Elle termine son tour de la maison par le plateau le plus petit, où M. Brastov et un autre homme, qu’elle me présente par son prénom, Daniel, sont en train de photographier une collection de chaussures de sport.
Ma première journée se passe plutôt bien. M. Brastov, qui insiste pour que je l’appelle Adam, m’invite à participer et étudie mes gestes, ce qui me rend nerveuse, mais malgré quelques maladresses et quelques erreurs, j’ai l’impression de ne pas m’en tirer trop mal. J’ai aidé à modifier les éclairages, à positionner les chaussures, ils me demandent même si j’ai des idées, et j’ose en proposer quelques-unes. La plupart sont écartées, mais Adam et Daniel en retiennent deux ou trois et m’autorisent à manier l’appareil photo. Une fois le shooting des chaussures terminé, je les suis dans la salle de retouche et les observe remanier les clichés numériques.
Je suis vraiment contente d’avoir déjà abordé toutes les facettes du métier en cours. Cela m’aide beaucoup, parce que je ne suis pas très à l’aise dans cet environnement nouveau, en compagnie d’inconnus. Les situations nouvelles sont difficiles pour moi. Je suis très timide, je ne me fais pas facilement des amis, et j’ai du mal à établir des liens avec les gens en général. C’est sans doute pour ça que j’aime tant la photographie : derrière mon appareil, je mets le monde et les autres à distance, je me sens en sécurité derrière mon objectif, et je maîtrise ce que je fais. Enfin, la plupart du temps !
Mon ambition, c’est de faire de la photo d’art, mais je sais que c’est difficile d’en vivre, alors il faudra que je me trouve un travail à la fin de mes études. Je ne sais pas encore si j’arrêterai au diplôme de bachelor, niveau bac +3, ou si je continuerai jusqu’au master, qui s’obtient au bout de 5 ans d’études. Papa est prêt à payer jusqu’au Master, mais je souhaite prendre mon indépendance le plus vite possible. J’imagine que j’ai le temps pour me décider, en fonction de mes notes et d’éventuelles propositions qu’on me ferait. C’est pour cela que les stages sont si importants : je dois me constituer un réseau le plus rapidement possible, me faire apprécier, pour que les entreprises pensent à moi plus tard quand elles auront besoin de quelqu’un. Du moins, c’est la théorie.
Dans la réalité, je sais bien que j’ai peu de chances de me faire embaucher. J’envie tellement les gens extravertis qui savent se rendre sympathiques et susciter l’intérêt autour d’eux. Moi, on ne me remarque jamais. Je suis sûre qu’à la fin de mon mois de stage ici, les gens ne se souviendront même pas de mon prénom.


PHÉNIX

La petite stagiaire m’agace prodigieusement. Je sais que je ne devrais pas la laisser m’atteindre, mais j’ai vraiment du mal avec les bourgeoises. Et elle, c’est tellement la petite princesse pourrie-gâtée que c’en est un cliché ambulant. Au déjeuner, elle est assise avec Stefie, qui se fait toujours un devoir de se montrer gentille avec les stagiaires. Il faut voir comment la nouvelle joue les mijaurées en picorant dans sa salade, que bien sûr elle ne termine pas, parce qu’il ne faudrait surtout pas prendre du poids.
Pourtant, pour autant que je puisse en juger à travers son atroce chemisier en soie écrue, véritable offense pour les yeux, elle pourrait largement se le permettre. Elle a l’air maigre comme un coucou. Mais ces filles des beaux quartiers ont toutes comme ambition suprême de rentrer dans une taille zéro. À vue de nez, celle-ci doit pouvoir s’en enorgueillir.
Elle se tient bien droite sur son tabouret, comme si elle avait pris des leçons de maintien, et elle s’essuie la bouche entre chaque bouchée avec sa serviette en papier. Chacun de ses gestes est étudié, élégant, mesuré. On dirait qu’elle est en train de bouffer chez l’ambassadeur, nom de Dieu. Rien que de la regarder, ça m’énerve. J’espère presque qu’elle va faire tomber de la vinaigrette sur son haut, mais bien sûr mademoiselle est trop parfaite pour que cela puisse se produire. D’ailleurs, elle en ferait sans doute une maladie.
J’en ai vu défiler, pourtant, de ces filles nées avec une cuillère en argent dans la bouche, mais celle-ci m’agace particulièrement. Je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être à cause de notre rencontre ce matin, quand, dans la cage d’escalier, elle avait l’air tellement terrifiée par mon apparition. On aurait dit qu’elle pensait que j’allais l’agresser ou la violer. Évidemment, elle ne doit pas avoir souvent l’occasion de croiser des types dans mon genre dans le 16e. Là-bas, dès qu’on n’a pas le teint blanc comme neige, on fait tache. Bon, ici aussi, je fais un peu tache, mais je me suis battu et j’ai mérité ma place, alors que cette fille, pour accéder à son stage, il a juste fallu que son papa allonge un chèque.
J’ai plus de respect pour les étudiants de Louis Lumière, qui ne sont sélectionnés qu’au mérite. C’est comme ça que j’y suis entré, et ça n’a pas été facile. Mais dans ces écoles privées, le talent n’est pas le critère le plus important. Il faut d’abord pouvoir aligner l’oseille. Non que leurs étudiants soient nuls, certains sont même excellents, mais il y a deux ans, une certaine Ghislaine est venue faire un stage ici, et c’était une calamité. Arrogante, exécrable avec tout le monde, sauf avec Adam qu’elle flattait sans vergogne, elle était incapable de régler un projo ou de se servir du logiciel de retouche photo. Elle aussi me regardait comme si j’étais un détenu évadé de prison, et me fuyait comme la peste.
Ou alors c’est parce qu’elle me rappelle un peu Liana.
Je profite de ma pause clope pour demander à Adam, qui fume aussi, combien de temps cette pimbêche doit rester chez nous.
Un mois, me répond-il.
Il rigole en me voyant grimacer.
Pourquoi ? En quoi ça te dérange ? C’est une gentille fille.
Gentille ? J’y croirai quand je l’aurai vue à l’œuvre. Jusqu’ici, je l’ai surtout vue regarder tout le monde de haut et ne pas se mêler à la populace.
Arrête. Elle est timide, c’est tout.
Je fais une moue sceptique.
Mouais. Elle a surtout un balai dans le cul, si tu veux mon avis. Et tu as vu son chemisier ? Sans rire, on dirait celui d’une vieille rombière qui va à son club de bridge.
Je me retourne en entendant le bruit de la porte en verre qui se referme, et à travers, je vois devinez qui ? La princesse qui s’éloigne à petits pas pressés sur ses escarpins à 300 €.
Merde, je marmonne.
-T’as plus qu’à t’excuser, fait Adam en riant sous cape.
Tu rigoles ?
Non. Je sais que c’est un exercice auquel tu n’excelles pas, mais il va falloir te forcer, sur ce coup, mon vieux. Je ne vais pas tolérer des tensions au sein de mon équipe pour des conneries pareilles.
Ok, je vais aller m’excuser, je bougonne, pas franchement ravi.
De toute façon, elle va bosser avec toi cet après-midi sur la campagne X.
Quoi ? !
-C’est un ordre. J’ai bossé avec elle ce matin, elle est tout à fait capable. Tu verras, elle ne sera pas inutile.
Je suis consterné. Non seulement, je suis censé m’excuser auprès de cette pimbêche, mais en plus il va falloir que je me la farcisse pendant des heures.
Putain, elle casse quoi que ce soit et je la fous dehors à coups de pied au cul.
Elle ne cassera rien. Relax, me fait Adam.
Elle est déjà sur le plateau quand j’arrive. Elle a allumé les projos et est en train de régler leur intensité. Dès que j’apparais, elle se fige et baisse la tête, l’air de ne plus savoir où se mettre.
-Heather, c’est ça ? je lui lance.
Elle hoche la tête en me jetant un rapide coup d’œil apeuré. Je réprime un soupir. C’est pas gagné.
Désolé pour ce que j’ai dit tout à l’heure.
Si je prononce les mots qu’il faut, ni l’intonation, ni l’intention n’y sont. Cependant, elle hoche de nouveau la tête en évitant mon regard, et se tord nerveusement les mains.
Les filles sont arrivées ? je lui demande.
Je fais allusion aux deux mannequins qui doivent porter les vêtements de la marque de notre client.
Oui, elles sont en train de se changer.
Carrie est là aussi ?
Euh…
La coiffeuse-maquilleuse.
Euh, non, je…
Putain !….
Je sors mon téléphone pour voir si Carrie a laissé un message. Effectivement, elle en a envoyé un il y a dix minutes pour signaler qu’elle était coincée dans les embouteillages et qu’elle serait en retard.
Va voir si tu peux aider les filles à se préparer. On va essayer de faire quelques prises de vue avant que Carrie arrive.
-D’accord, murmure timidement la stagiaire.
Elle frappe deux petits coups à la porte de la loge et disparaît à l’intérieur.
Je fais quelques réglages en attendant qu’elles terminent de se préparer, et dix minutes plus tard, les deux mannequins ressortent du salon d’essayage, suivies par Heather. Je reconnais Caro, avec qui j’ai déjà bossé (et que je me suis faite, au passage). Caro est une jolie rousse aux longues jambes, sa collègue est une brune aux cheveux coupés à la garçonne, un peu plus petite, avec moins de courbes.
En me voyant, Caro fait un grand sourire et se précipite sur moi.
Phénix ! Je suis tellement contente de te voir ! s’exclame-t-elle en m’enlaçant avant de me faire la bise. Comment tu vas ?
Bien, et toi ? je lui demande, amusé par son exubérance.
Caro est une gentille fille, pas compliquée, toujours de bonne humeur, avec laquelle il est agréable de travailler.
Super ! Viens, que je te présente Karine. Karine, c’est Phénix ! Tu vois, je t’avais pas menti, il est à croquer, non ?
Je lève les yeux au ciel et Karine rigole en me faisant la bise à son tour.
-T’as vu ces muscles ! roucoule Caro en caressant mon bras. C’est du vrai de vrai, ça !
On rigole tous les trois pendant que la petite stagiaire fait semblant de s’occuper en regardant à travers l’objectif de mon appareil.
Touche à rien ! je m’écrie sans réfléchir.
Elle sursaute et recule de plusieurs pas tandis que les deux mannequins se taisent brusquement.
Bon, les filles, en piste. On va commencer par toi, Caro.
La séance de pose se passe bien ; les filles savent ce qu’elles ont à faire, moi aussi, et je dois admettre que la petite stagiaire, même quand je lui mets la pression, ce que je ne manque pas de faire histoire de voir ce qu’elle a dans le ventre, ne s’en tire pas trop mal non plus. Elle suit mes ordres sans broncher, aide Carrie à préparer les filles, et a même de temps en temps quelques bonnes initiatives. Elle remonte un peu dans mon estime. Ce n’est ni la planquée, ni l’incapable, ni la snob que j’imaginais. Pourquoi est-ce que ça m’emmerde autant ? Quelque part, j’aurais bien aimé continuer à la mépriser tranquillement. Il y a quelque chose chez elle… qui m’interpelle. Et je n’ai pas envie de ça.
Je m’en veux aussi de ne pas pouvoir m’empêcher de loucher sur son cul quand elle me tourne le dos et se penche. Il faut dire que dans sa jupe moulante, il est sacrément bien mis en valeur. Et putain, qu’est-ce qu’elle est jolie ! Son visage est l’un des plus fins, des plus délicats que j’ai jamais vu. Avec sa peau de blonde à la pâleur translucide, ses traits sont magnifiés, et il émane d’elle une fragilité qui me fait un effet détestable. Putain, j’ai horreur de réagir comme ça, comme tous les types qui doivent se faire prendre au piège de sa beauté vulnérable et gobent l’hameçon avec l’appât. Je suis bien placé pour savoir que les apparences sont trompeuses et qu’en général, les filles qui semblent les plus fragiles sont les pires garces du monde. Je me suis fait avoir une fois, pas question qu’on m’y reprenne.
Je me force à ne pas la regarder, et à faire mon taf avec tout mon professionnalisme. Je me force à la rudoyer un peu, à être désagréable avec elle, parce que je ne veux pas qu’elle puisse s’imaginer m’amadouer avec ses yeux de biche et ses airs de poupée de porcelaine. C’est volontairement que je me laisse aller à l’irritation qu’elle provoque chez moi.
Je l’appelle Princesse, d’un ton moqueur, parce qu’elle ressemble vraiment à un de ces personnages mythiques, une princesse des fées diaphane et effarée. Mais aussi pour me rappeler qu’elle en est sûrement l’équivalent dans le monde réel, une petite fille de riches gâtée par des parents qui lui paient tout ce qu’elle veut sans qu’elle ait à lever le petit doigt ni faire le moindre effort pour l’obtenir. Je dois admettre que pour quelqu’un comme moi, à qui rien n’a été donné, qui ai dû lutter pour sortir de la misère et atteindre les objectifs que je m’étais fixés, contre le monde entier parfois, c’est dur à encaisser. Les hasards de la naissance, au final, c’est tout ce qui nous sépare, et pourtant c’est un véritable gouffre. Est-ce que je suis jaloux de ces gosses de riches ? Un peu, c’est vrai. Est-ce que j’ai la rage contre eux ? Pas faux non plus. J’aurais bien aimé avoir eu une vie plus facile. Même si, finalement, ça donne encore plus de valeur à ce que j’ai aujourd’hui.
1
Packshot : photographie de haute qualité d'un produit sur un fond le plus souvent uni servant à présenter le produit

 

 

HEATHER



Cet après-midi a été infernal. Phénix n’a pas arrêté de m’aboyer dessus, et je n’ai pas pu souffler deux minutes. Même pendant que les autres prenaient leur pause, il a fallu que je déplace les éléments de décor, que je trie les vêtements balancés n’importe où dans la loge et que j’aille chercher des accessoires. Tout ça pour m’entendre reprocher, au retour de l’ogre, que rien n’était fait comme il fallait. Il m’a fait tout refaire. J’en aurais pleuré. Heureusement que j’ai de l’entraînement pour refouler mes larmes. Je ne lui ai pas donné la satisfaction de les voir couler. J’espère qu’il ne m’a pas vue trembler. Je ne veux pas qu’il sache que sa dureté m’atteint. Peu importe ce qu’il me fera subir, je réussirai mon stage.
J’espère qu’il n’ira pas se plaindre de moi auprès d’Adam et des autres photographes. Il ne m’a rien dit avant de partir. J’ai peur qu’il aille me faire une mauvaise réputation dans l’agence et que tout le monde ait un a priori négatif sur moi après cela. Du coup, je fais tout ce que je peux pour réparer la mauvaise impression que je lui ai faite : je range le plateau, je fais le ménage dans la loge, je branche les appareils photo sur leur batterie et je prends leur carte-mémoire pour copier les photos sur l’ordinateur.
Je suis obligée de repasser par la salle de repos pour accéder au bureau de retouche. Les deux mannequins et Phénix y sont installés ; ils boivent un verre au bar. J’ai un pincement de jalousie en leur jetant un coup d’œil : ils ont l’air de passer un bon moment ensemble. Ils discutent, plaisantent, rigolent. Les filles, placées de chaque côté de l’ogre, se pressent contre lui et font des mines de chatte en le regardant. Elles le touchent à la moindre occasion, effleurant ses bras, son torse, ses cheveux, et lui se rengorge de leurs attentions. Le trouvent-elles donc réellement séduisant ? C’est ce que Caroline semblait vouloir dire quand elle a salué Phénix tout à l’heure. Je suppose que ses gros muscles peuvent plaire à certaines femmes. Le contraste entre sa peau marron clair dorée et ses yeux vert est saisissant, en tout cas. Quand il sourit, comme maintenant, il est moins effrayant que d’habitude.
-Qu’est-ce que tu fais ? m’interpelle-t-il alors que je m’apprête à franchir la porte.
Sa voix sèche me fait sursauter, et je me retourne vers eux d’un bond.
-Je... Je vais mettre les photos sur l’ordinateur de la salle de retouche.
Ok. J’arrive dans deux minutes.
Bon, c’est qu’il serait presque aimable. Le problème, c’est qu’il est dix-huit heures et que je suis censée partir. Or la phrase du photographe semble impliquer que je l’attende. Je me mordille nerveusement la lèvre inférieure en poursuivant mon chemin à travers les bureaux. J’hésite à envoyer un sms à papa. S’il rentre tard, comme souvent le lundi soir, il ne s’apercevra peut-être pas que je suis en retard. Je décide donc de ne rien faire. Si je peux partir vers 19h, ça devrait aller.
L’ogre arrive pendant que je visionne les photos. Il s’installe en silence sur le siège à côté de moi. Le sentir si proche me rend terriblement nerveuse. Je redémarre le diaporama à son bénéfice, et nous regardons l’ensemble sans dire un mot. Quand tout a défilé, je l’arrête et démarre le logiciel de retouche comme Damien me l’a montré ce matin.
Affiche une mosaïque, on va déjà virer celles qui sont trop pourries, dit le photographe.
Seigneur, comme sa voix est grave ! Elle résonne à l’intérieur de ma poitrine, fait vibrer mes côtes. Il énumère celles qu’il faut effacer et je m’exécute.
Bon, maintenant, au boulot ! dit-il en étirant les bras devant lui, faisant craquer ses doigts entrelacés.
Son geste brusque me fait sursauter. Il ricane et je me recroqueville.
Donne-moi la souris.
Il ouvre la première photo.
Dis-moi ce qu’à ton avis il faut retoucher, m’ordonne-t-il.
C’est difficile de se concentrer avec lui à côté, si proche que nous nous frôlons et que je sens sa chaleur corporelle irradier comme d’un radiateur. Je remercie encore une fois ma formation qui me permet de repérer les défauts les plus évidents, comme un léger manque de lumière et une ombre disgracieuse sur le bras de Caro. Phénix hoche la tête et m’explique ce qu’il va corriger d’autre. Il crée une copie de la photo et m’explique comment il fait au fur et à mesure qu’il rectifie l’exposition, supprime les ombres, et corrige deux ou trois autres défauts que je n’avais pas vus.
À ton tour, dit-il en me tendant la souris.
Le temps passe très vite tandis que nous collaborons dans une ambiance studieuse. Je suis agréablement surprise qu'il parvienne à se comporter correctement avec moi tandis que nous travaillons sur les retouches. Il est plutôt pédagogue, finalement, quand il arrête de grogner. Il se sert du logiciel non seulement pour corriger, mais aussi pour améliorer les photos, harmonisant les couleurs, adoucissant ou accentuant les contrastes en fonction de ce qu’il désire obtenir. On peut dire qu’il maîtrise vraiment bien son sujet. Je ne m’attendais pas à ce qu’il soit capable de se montrer aussi civil avec moi, vu qu’il a l’air de ne pas m’apprécier du tout.
Je suis étonnée aussi par son odeur, un parfum agréable, subtil et naturel. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un parfum qu’on achète en bouteille, plutôt de son odeur naturelle mélangée à celle de son déodorant. Je n’imagine pas un homme aussi brut de décoffrage se rendre dans une parfumerie. Cette idée me fait presque sourire.
Une sonnerie retentit tout à coup, signalant l’arrivée d’un sms sur mon téléphone. Je me crispe en m’apercevant qu’il est plus de 19h. Est-ce que c’est papa qui m’envoie un message ? Je le suppose, mais je n’ose pas vérifier, de peur de contrarier Phénix alors qu’il semble mieux disposé envers moi. Un second message signale son arrivée dix minutes plus tard, mettant un comble à mon anxiété. Cinq minutes après, c’est la sonnerie distinctive de papa qui commence à carillonner.
Réponds, qu’on ait la paix, fait Phénix d’un ton agacé.
Je me précipite pour ouvrir mon sac à main et y repêcher mon portable. J’arrive à décrocher à temps.
Papa, une minute s’il te plaît.
Je me lève et m’éloigne dans le couloir.

 

PHÉNIX



J’écoute distraitement la conversation de la stagiaire, Heather, ou plutôt la moitié de la conversation. Elle explique qu’elle est encore au studio et qu’elle ne sait pas à quelle heure elle rentrera, mais qu’elle fera de son mieux pour ne pas partir trop tard. Je m’aperçois qu’il est 19h30, et me demande à quelle heure les stagiaires sont censés finir. Sûrement avant ça. Je fronce des sourcils. Je n’ai pas vu le temps passer.
Je dois bien reconnaître que travailler avec Heather est agréable. Elle comprend vite et ne cherche pas à se mettre en avant. Elle ne cherche pas non plus à me draguer. À vrai dire, je le regrette presque. Ce serait gênant dans le contexte du boulot, mais dans l’absolu, je ne dirais sans doute pas non. Cette fille a vraiment quelque chose. Elle m’attire, je peux bien me l’avouer à moi-même. Son parfum, sa proximité, sa voix douce, mélodieuse, m’ont plongé dans un état d’apesanteur, de sérénité teintée d’une légère touche de désir. À plusieurs reprises, j’ai dû me retenir de la toucher sous les prétextes les plus anodins.
Mais je n’ai pas cédé à mon envie. D’une part, parce que cette fille me rappelle Liana, mais aussi parce que nous sommes au studio, et que ce ne serait pas du tout professionnel de flirter avec une stagiaire, qui plus est dès son premier jour. Badiner, voire coucher, avec des mannequins, c’est la limite. Je ne m’y autorise que parce qu’elles changent souvent et qu’elles n’ont que des contrats ponctuels avec les marques qui sont nos clientes. La relation professionnelle est indirecte. Là, ce serait vraiment indélicat, et source de ragots. Je me suis toujours refusé à sortir ou coucher avec une collègue de travail, pour éviter des conséquences néfastes pour mon job.
Lorsque Heather se rassoit près de moi, elle me semble redevenue aussi nerveuse qu’au début, comme si nous ne venions pas de passer une heure et demie côte à côte en bonne intelligence. Ce constat m’irrite.
Tu peux partir, si tu veux, je lui dis. De toute façon, on a presque terminé.
Je vois qu’elle hésite. Elle se tortille sur son siège et frotte nerveusement le bureau du bout de son index.
Ben vas-y ! je lâche, exaspéré par ses tergiversations. Je ne vais pas cafter !
Elle se relève d’un bond et prend son sac à main hors de prix en baissant la tête.
Euh… Au revoir, murmure-t-elle d’une voix à peine audible en tripotant sa bandoulière.
Tu sais, la plupart des gens apprécient qu’on les regarde quand on leur parle, je lui lance d’un ton acide.
Elle relève les yeux vers moi, mortifiée et choquée par ma pique. Je la fixe avec dureté.
-C’est pas parce que je viens d’une banlieue chaude et que je ne suis pas blanc comme un cacheton que je vais te sauter dessus, princesse.
Je... je ne… balbutie-t-elle.
Laisse tomber. Bye.
Je me retourne vers l’écran de l’ordi pour lui signifier que la conversation est close. Au bout d’un instant, elle s’éloigne sans ajouter un mot. J’enrage tout seul devant mon écran comme un con. Je m’en veux un peu d’avoir été aussi dur avec Heather, mais elle m’a énervé avec ses airs de souris effarouchée. Non mais franchement, qu’est-ce qu’elle s’imagine que je vais lui faire ? La violer sur le bureau ? Ces filles des beaux quartiers sont aussi stupides que pleines de préjugés.




HEATHER



Je tremble de tous mes membres en quittant le studio. Dieu merci, je ne croise personne sur mon chemin et me dépêche de rejoindre ma voiture dans le parking souterrain. Une fois en sécurité à l’intérieur de l’habitacle, je relâche la tension qui m’oppresse en respirant profondément, le front posé sur le volant et les bras noués autour de mon ventre.
J’adore ma voiture. Il n’y a aucun endroit au monde où je me sente autant en sécurité. Papa me l’a achetée pour mes dix-huit ans, et depuis, elle est devenue un vrai refuge pour moi. Si je pouvais, je dormirais dedans. Parfois, quand je la conduis, je rêve de quitter Paris avec, et de rouler, rouler, très très loin d’ici. Je rêve que je m’installe dans un endroit où personne ne me connaît, où mon père ne pourra jamais me retrouver. Mais je sais très bien qu’un tel lieu n’existe pas. Aussi loin que je fuie, il me retrouvera toujours. L’argent a ce pouvoir-là. Je regrette parfois de n’être pas née à une époque où il était beaucoup plus facile de disparaître. De nos jours, avec les progrès technologiques, c’est devenu impossible à moins d’appartenir à la mafia ou aux services secrets.
Une fois que je suis suffisamment calmée, je tourne la clé et sors du parking. Pendant que je roule vers la maison, je repense à l’accusation de l’ogre de photographe. Est-ce qu’il a raison ? Est-ce que j’ai peur de lui parce qu’il n’est pas blanc ? Je fais mon examen de conscience, et finis par conclure que non, ce n’est pas ça. Ce sont sa carrure et son attitude envers moi qui me terrifient. S’il s’avisait de me frapper, j’irais direct à l’hôpital, voire à la morgue. Je ne pense pas qu’il le ferait, pas sur son lieu de travail, mais, même si ma peur est irrationnelle, je ne peux m’empêcher de la ressentir. Je suis une trouillarde, malheureusement.
Mes pensées se tournent ensuite vers l’invitation que Stefie m’a faite ce midi : elle organise une fête samedi soir chez elle, pour l’anniversaire de Michaël, un gars du studio. Apparemment, tout le monde sera là. Je n’aurai sans doute pas le droit d’y aller, mais je vais quand même demander, en avançant l’argument qu’il serait bon pour ma carrière de socialiser avec le personnel du studio. Je ne sais même pas si j’ai vraiment envie d’y aller, mais comme je ne suis jamais sortie le soir, je ne peux pas savoir si ça me plaira ou pas. Ce qui s’en rapproche le plus dans mon expérience personnelle, ce sont les dîners que papa organise à l’occasion à la maison ou au restaurant, avec des collègues et des clients de son cabinet d’avocat. Et on ne peut pas dire que ce soient des soirées très festives. C’est assez pathétique qu’à 22 ans je ne sois jamais allée en boîte ou même chez des amis passer une soirée comme le font tous les jeunes de mon âge. Mais papa me l’a toujours interdit. Et je n’ai jamais osé passer outre.
Là, vu que c’est plus ou moins dans le contexte de mon stage, je me dis que j’ai peut-être une chance d’obtenir son accord. J’aimerais bien tenter l’expérience de sortir un samedi soir, d’être un peu comme tout le monde pour une fois. De faire semblant, l’espace d’une soirée. Je pourrais prétendre que je suis quelqu’un d’autre, une fille sûre d’elle, qui aime s’amuser, qui n’a aucun souci dans la vie, une fille normale. Ce serait probablement un désastre, mais j’en ai envie quand même. Stéfie a l’air vraiment gentille, et d’ici la fin de la semaine je ferai peut-être connaissance avec d’autres personnes sympathiques au studio. Personne ne me connaît, là-bas, ils n’auront peut-être pas le temps d’ici samedi de s’apercevoir que je suis bizarre et inapte à socialiser. Je vais essayer de faire des efforts pour paraître avenante.
Ma tension intérieure grandit à mesure que je m’approche du grand appartement que mon père et moi partageons dans le 16e arrondissement. Les battements de mon cœur accélèrent progressivement et résonnent dans ma cage thoracique. Ma gorge se noue. Mes mains deviennent moites sur le volant.
Quand je me gare dans l’allée privative, à ma place habituelle, tous mes muscles sont raides d’appréhension. Je déglutis pour essayer de dissiper la boule qui m’obstrue la gorge, mais bien sûr ça ne marche pas. Allons, ça ne sert à rien de tergiverser. Plus j’attendrai pour rentrer, plus je serai punie durement pour mon retard.
J’attrape mon sac à main sur le siège passager et ouvre la portière de mon Audi. Je me prépare psychologiquement à ce qui m’attend : je m’absente de moi-même, je me retire petit à petit dans les profondeurs de mon esprit, mes pensées s’effacent. Je mets un pied devant l’autre sans penser à rien, jusqu’à arriver devant la porte de l’appartement. Je sors la clé, déverrouille et entre.
Le salon est plongé dans la pénombre, mais je sens l’odeur de son cigare, et je sais qu’il est là. Peu à peu je distingue sa silhouette sur le fond caramel de son fauteuil préféré, tourné vers la porte. Je suspends mon sac à main et ma veste au porte-manteau, machinalement, et ôte mes escarpins avant de les ranger dans le petit placard de l’entrée.
Tu sais depuis combien de temps je suis là à t’attendre ?
Sa voix, comme je m’y attendais, est chargée de colère. J’aperçois l’extrémité rougeoyante de son cigare, et frémis d’appréhension. De son autre main, il tient un lourd verre en cristal avec un fond de scotch. J’essaie d’estimer combien il a bu. La bouteille est presque vide, mais je ne sais pas depuis combien de temps il l’a entamée. Papa ne boit pas tant que ça, je ne pense pas qu’il l’ait ouverte ce soir.
Viens ici !
Son ordre claque comme un coup de fouet et je sursaute avant de m’avancer vers lui. Mes pieds, dans mes collants, s’enfoncent dans l’épais tapis. Je m’arrête à un mètre de lui.
Tu t’es faite sauter ? demande-t-il avec agressivité.
La même question rituelle, chaque soir. Et il semble toujours redouter que je réponde oui.
Non papa, je réponds doucement.
Montre-moi.
Je me déshabille. Mes doigts tremblent à peine. Mes gestes sont mécaniques, mon visage est baissé, et je ne montre rien de la honte que je ressens. Je lui tends ma culotte qu’il renifle longuement avant de la poser sur le guéridon à côté de lui. Quand je suis complètement nue, il se lève et m’examine attentivement. Ses yeux me fouillent, puis ses mains, qui se glissent entre mes jambes, puis entre mes fesses. Il se penche et me renifle le cou, les cheveux, les seins, puis il se met à genoux et plaque son visage contre ma chatte. Il reste comme ça quelques minutes, les mains posées sur mes fesses, et je sens qu’il se détend. Comme d’habitude.
Contre le mur, murmure-t-il en se relevant.
J’obéis. Je pose mes mains à plat contre la tapisserie luxueuse, crème rehaussée de motifs abstraits tons sur tons, puis recule d’un pas, présentant mes fesses. Derrière moi, je l’entends qui déboucle sa ceinture avant de la faire glisser dans les passants. Ce son sifflant me glace les sens à chaque fois. Je m’efforce de respirer calmement, je me blinde, je m’efface.
Pourquoi tu me forces à te punir, Heather ? demande papa d’un ton contrarié. Tu aurais pu m’appeler pour me prévenir que tu serais en retard.
Je suis désolée. Je te demande pardon, papa, dis-je mécaniquement.
Je sais que ça ne sert à rien d’essayer de me justifier, d’autant que je lui ai déjà expliqué la situation au téléphone, quand il m’a appelée. Il me punira de toute manière, et ce sera pire si je tente des explications dont il se fiche.
Dix coups pour le retard, plus dix pour n’avoir pas prévenu. J’étais inquiet, Heather. Tu n’as même pas répondu à mes messages. Si tu recommences, je t’assure que tu vas le regretter. Compte.
La ceinture siffle dans les airs, puis claque sur ma chair. C’est cuisant, mais je préfère encore ce genre de punition aux autres.
Un, je compte d’une voix étouffée.
Vingt, ça fait beaucoup ; je sais que j’aurai mal demain, probablement toute la journée. Heureusement, il va assez vite, mais vu le nombre de coups, qu’il répartit sur les fesses et le haut des cuisses, il repasse plusieurs fois aux mêmes endroits, et la douleur devient atroce. Des larmes se mettent à couler sur mes joues, et des sanglots se mêlent à mon décompte.
Voilà, c’est fini, ma chérie, dit papa en caressant mon dos. Je te mettrai de la crème tout à l’heure.
Il respire vite et fort, et ses doigts courent sur les boursouflures, il les parcourt une par une lentement, avec légèreté. Je reste immobile et silencieuse. J’attends. Je me refuse à espérer qu’il ne le fera pas, cette fois. Il le fait presque toujours.
Tu ne le feras plus, Heather, n’est-ce pas ? Tu seras obéissante, maintenant.
Oui papa, je souffle en recouvrant peu à peu une respiration plus calme.
-C’est bien.
Je ferme les yeux en sentant sa main s’insinuer sous mes fesses, dans le pli moite de ma chatte épilée. Je savais bien que j’avais tort d’espérer. Le son d’une fermeture éclair qu’on descend sonne le glas de mes vains espoirs, et je serre les poings contre la tapisserie. Je rentre ma tête dans mes épaules, pour en entendre le moins possible, et écarte docilement les jambes quand ses mains me l’ordonnent en silence. Son sexe me pénètre, mais moi, je suis très loin.
Je t’aime, ma chérie, j’entends avant de sombrer dans ma mer intérieure.




PHÉNIX



Une fois Heather partie, je termine rapidement de corriger mes photos, puis je vais voir si Adam est encore au studio. Je le retrouve dans son bureau, en train d’étudier un contrat.
Adam, tu as une minute ? je demande.
Il leva le nez de ses papiers et acquiesça.
Ça s’est bien passé avec Heather cet après-midi ? demande-t-il.
Pas mal, oui, je dois l’admettre. Je voulais justement te demander à quelle heure elle est censée terminer, le soir.
À 18h.
Je grimace.
Merde, je viens à peine de la libérer.
Elle ne t’a rien dit ?
Non. Elle n’a pas dû oser.
Adam hausse les épaules.
-C’est pas bien grave. Elle doit bien se douter qu’elle finira plus tard parfois. On n’est pas des fonctionnaires, ici. Elle n’a pas fini de faire des heures sup si elle choisit ce métier.
Ça, c’est sûr ! je plaisante.
Donc, elle n’est pas si terrible que tu le craignais.
Ouais, d’accord, elle est plutôt compétente, je reconnais.
Est-ce que tu l’emmènerais avec toi jeudi ? Ça pourrait être une expérience intéressante pour elle.
Bon, d’accord, je soupire.
Très bien. Tu vas voir, tu vas finir par bien t’entendre avec elle.
Ouais, ben c’est pas demain la veille qu’elle va devenir ma meilleure pote non plus, je grogne.
Adam pousse une espèce de gloussement.
Ça m’étonnerait, en effet.


Quand Heather arrive le lendemain matin, c’est comme si je la voyais pour la première fois. Elle est carrément renversante dans sa robe noire, qui sans la mouler épouse divinement ses formes gracieuses. Un long chandail écru casse le côté un peu strict de sa tenue, alors que ses jolies chaussures à petits talons, noires avec une extrémité blanche, y ajoute une touche d’élégance. Elle est magnifique, il n’y a pas d’autre mot. J’en ai la gorge toute serrée. Je me demande comment je suis censé côtoyer une fille aussi superbe en faisant comme si de rien n’était. En conséquence, j’essaie de l’éviter tout le reste de la journée. Mais chaque fois que je la croise, et pendant le déjeuner, que nous prenons tous sur la terrasse car il fait très beau aujourd’hui, je ne peux pas m’empêcher de la regarder. Ou plutôt de la dévorer des yeux. Je ne suis d’ailleurs pas le seul.
Fabrice, qui a travaillé avec elle toute la matinée, semble-t-il, est assis près d’elle et ne la lâche pas d’un pouce. Je les observe subrepticement, et constate que Heather évite son regard, et son contact. Son langage corporel est limpide : elle ne veut pas qu’il l’approche de trop près. Je me rends compte alors que je me suis trompé dans mon interprétation de son attitude envers moi. Je croyais qu’elle ne supportait pas de me regarder à cause de ma couleur de peau et de tout ce que ça suppose comme appartenance sociale, mais en réalité, c’est parce que je suis un homme. Hier midi, avec Stefie, elle se comportait avec beaucoup plus de naturel et d’aisance, même si elle restait réservée et timide.
Fabrice, sans toutefois dépasser les limites de la décence, fait semblant de ne pas comprendre. Il lui effleure la main, la serre de près, se penche pour lui murmurer des choses à l’oreille. Mais qu’est-ce qu’il lui raconte, ce con ? Heather semble très mal à l’aise. Elle garde la tête baissée, le visage dissimulé derrière sa frange longue, les épaules rentrées, comme si elle voulait s’échapper par un trou dans le sol, et tripote son sandwich à peine entamé. Ça me rend dingue de voir ça. Je suis incapable de laisser ce guignol l’importuner au point de l’empêcher de manger. La pauvre n’a déjà que la peau sur les os, elle ne peut pas se permettre de sauter un repas.
Je me lève et interpelle Fabrice. Il lève la tête vers moi d’un air interrogateur. Je lui fais signe de venir me rejoindre, et entreprends de lui parler boulot. Du coin de l’œil, je constate avec satisfaction que Heather s’est remise à manger. Mission accomplie. J’éprouve une curieuse impression de satisfaction à la voir se nourrir. Des fois, ma propre connerie me consterne. Je suis en train de glisser sur une pente savonneuse ; il faut que je me reprenne avant de faire une grosse boulette. M’attacher à cette fille serait catastrophique, tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel. Du nerf, merde !
Vers 18h, je la vois sortir des toilettes, et m’aperçois immédiatement qu’elle a changé de collant. Celui qu’elle porte est presque blanc et opaque. Elle porte un petit sac en bandoulière, différent du sac à main qu’elle avait hier et, me semble-t-il, ce midi. Ca ressemble à un sac de sport dans un genre élégant, féminin. Rien à voir avec le vieux sac à dos que je me trimballe quand je vais à l’entraînement.
-Tu fais quoi comme sport ? je lui demande quand elle arrive à mon niveau.
Elle me regarde en clignant des yeux. Je n’avais jamais remarqué qu’ils étaient d’un si joli bleu, tirant presque sur le violet.
-Je… euh… je fais de la danse, répond-elle dans un murmure gêné.
-Ah oui ? Quel style ?
-Euh… je fais du classique, le mardi soir, et du contemporain le samedi après-midi.
-Ça fait longtemps que tu pratiques ?
Elle a l’air hyper étonnée que je lui pose toutes ces questions, mais j’ai envie de réparer la mauvaise impression que je lui ai faite hier, quand je croyais qu’elle était snob et raciste. Je suis bien décidé, toutefois, à en rester au stade amical.
-Oh, oui, finit-elle par répondre en baissant les yeux. J’ai commencé quand j’avais sept ans.
-Tu dois être plutôt bonne, alors.
-Oh non ! se défend-elle en secouant la tête, l’air affolée que je puisse penser cela. Je… J’aime bien ça, c’est tout.
Sa réaction me sidère. Soit elle a un gros problème d’estime d’elle-même, soit elle est un peu barrée. On ne pratique pas un sport pendant quinze ans si on est mauvais dans cette discipline. Ses pieds, encore chaussés de ses escarpins, se tortillent nerveusement.
Un silence gêné s’installe jusqu’à ce qu’avec un petit signe de la main et un murmure indistinct, elle s’esquive.




HEATHER



En route vers mon cours de danse, je m’interroge sur l’étrange conversation que je viens d’avoir avec Phénix. Pourquoi est-il venu me parler ? Il avait l’air… presque amical. J’en suis encore toute étonnée. Est-ce que c’était une façon de s’excuser pour la façon dont il m’a rudoyée hier ?
Je me suis changée dans les toilettes du studio pour éviter d’avoir à le faire dans les vestiaires de mon cours de danse, au risque qu’une de mes condisciples remarque les cicatrices encore visibles des coups de ceinture de la veille (j’ai vérifié dans le miroir des toilettes, il reste de longues lignes rose vif sur mes fesses et le haut de mes cuisses). Je n’aurai plus qu’à enfiler mon justaucorps et mes chaussons en arrivant. Je n’ai presque plus mal, maintenant, même si le frottement de mes vêtements a été pénible toute la journée, et que la position assise a été une torture. Heureusement, j’ai l’habitude de dissimuler ma souffrance, et je n’ai rien laissé paraître. De même, j’ai dissimulé mes cernes, dues à ma mauvaise nuit, de sorte que personne ne m’a fait de remarque. De cela aussi j’ai l’habitude, car mon sommeil est rarement facile et paisible. J’ai un excellent anti-cernes, c’est mon principal outil de maquillage. J’en remets plusieurs fois dans la journée, à chaque fois que je vais aux toilettes ; c’est devenu un réflexe quotidien.
En me changeant au milieu des autres filles de mon cours, j’écoute distraitement les conversations. Elles parlent de garçons, de bars et de boîtes de nuit, de leurs études. Mais surtout de garçons. La manière parfois très crue dont certaines relatent leurs conquêtes me choque un peu, par moments. Je me demande ce que ça doit faire comme effet d’avoir une attitude normale envers les hommes, de ne pas redouter leurs attentions, de se sentir libre d’accepter leurs avances, de ressentir du désir. Tout cela m’est totalement étranger. J’observe le ballet de la vie autour de moi de derrière la vitre opaque de ma souillure. Je suis irrémédiablement différente, marquée par le sceau invisible de la honte et du secret, incapable de me lier intimement à qui que ce soit, ne serait-ce que pour avoir une amie. Ce serait trop risqué. Comment expliquer pourquoi je ne peux pas sortir ? Comment expliquer que je n’ai jamais eu de petit ami, et que je n’en veux pas ? Ma vie n’est qu’un vaste mensonge, un vaste secret honteux, que je ne peux partager avec personne, même si j’en avais envie, ce qui n’est pas le cas.
Ce que j’ai de plus proche d’une amie, c’est Anne-Lise, une camarade de l’EFET, qui est presque aussi timide que moi et qui n’ose pas me poser de questions personnelles. Cela nous permet d’avoir une espèce de relation d’ordre amical, de déjeuner ensemble, de parler de nos études, de nos professeurs, et de choses anodines comme nos séries et nos livres préférés. Cela demeure prudemment superficiel.
Je n’ai aucune relation avec les autres filles du cours de danse. Il m’arrive de leur adresser la parole, et inversement, en cas de besoin, mais le reste du temps, nous nous ignorons. Il n’y a que Mme Jones, la prof, qui se comporte naturellement avec moi. Je l’aime beaucoup. Malgré ses cinquante ou soixante ans, elle est très belle, d’une beauté qui n’a que peu à voir avec les critères modernes. Elle est grande, élégante, et gracieuse. Altière. Comme une reine, qui veille d’un regard d’aigle sur son petit royaume. Elle est aussi très mince, et sous ses vêtements moulants, chaque muscle se dessine nettement, sans la moindre couche de graisse pour en adoucir le relief.
Pendant le cours, elle m’effleure les jambes pour corriger mon arabesque, et je savoure ce contact impersonnel. Je n’ai pas peur d’elle. Parfois, je rêve qu’elle est ma mère, qu’elle me caresse les cheveux, le visage, avec tendresse. Je fais toujours de mon mieux pendant les cours, parce que je veux qu’elle soit fière de moi. Je crois qu’elle m’aime bien, même si bien sûr cela reste, là aussi, superficiel. Néanmoins, chaque fois qu’elle me touche, je dois réprimer mes tremblements d’émotion, et mes larmes.
Rien à voir avec ce que je ressens quand un homme pose les doigts sur moi. Fabrice, ce midi, m’a terrifiée. Si j’avais pu, je me serais enfuie loin de ses mains, de sa bouche qui effleurait mon oreille. Je ne pouvais que m’écarter le plus possible, au risque de me faire remarquer et de tomber de ma chaise. Qu’est-ce qui lui a pris d’agir ainsi ? Est-ce qu’il voulait me baiser ? Une vague de dégoût me saisit à cette pensée. C’est ce que je ressens à chaque fois qu’un homme me fait comprendre qu’il voudrait coucher avec moi. Rien que de penser à Fabrice en train de toucher mon corps nu, son sexe me pénétrer, j’en ai la nausée.
Je me demande parfois quel effet cela ferait d’avoir un petit ami. J’aimerais tellement que quelqu’un m’aime, d’un amour normal. Quand je lis des romans sentimentaux, c’est-à-dire pas souvent, parce que, contrairement à ce qu’on pourrait penser, je ne suis pas masochiste, je me plais à rêver que ma vie est différente et qu’un garçon tombe amoureux de moi. J’imagine un garçon gentil, doux, qui ne me touche qu’avec respect, qui m’embrasse et qui m’emmène au cinéma. On pourrait parler de tout, on rirait ensemble. De la science-fiction… Ça n’arrivera jamais, jamais…
Je m’oblige à cesser de réfléchir à des choses impossibles, et me concentre sur le cours. C’est une bénédiction que d’arrêter de penser, et de m’immerger dans mon corps, dans mes efforts pour atteindre le mouvement juste. Penser, c’est se tourmenter ; la danse me permet de vivre dans le présent, et dans mon corps. Au lieu de courir dans mon cerveau comme un hamster dans sa roue, j’investis mes membres, je ressens les battements de mon cœur, la sueur sur ma peau, les tiraillements de mes muscles. Vivre l’instant arrête le temps. Mes cours de danse sont des espaces de paix pour mon esprit malade et torturé. Même la douleur est différente de celle que je ressens sous les coups de mon père : ces douleurs-là sont saines, causées par l’effort, et c’est de ma propre volonté que je me les inflige. Je savoure mes courbatures comme des plaisirs secrets.
Après le cours, je fais exprès de ne pas me changer. J’enfile seulement ma robe par-dessus mon justaucorps et mes chaussures, avant de reprendre ma voiture. Papa ne me fait pas subir d’inspection quand je rentre de la danse. Il vérifie seulement que j’ai transpiré et que je porte ma tenue. Je le salue et file dans la douche. En redescendant au salon, je m’assois à la table de la salle à manger, où il m’attend. Il porte toujours son costume, comme ce matin, et a le nez plongé dans des papiers, probablement du travail qu’il a ramené du bureau. En me voyant arriver, il les met de côté.
-Tu as passé une bonne journée, ma chérie ? me demande-t-il.
-Oui, très bonne, et toi ?
-Pas mauvaise, ma foi. Sers-nous, Heather, veux-tu.
Mme Michel fait le ménage et la cuisine tous les jours ouvrés, pendant que nous ne sommes pas là. Bien qu’elle travaille depuis plus de dix ans pour nous, je la connais à peine. J’ai eu l’occasion de lui parler, pourtant, quand au fil des ans je passais plusieurs jours voire plusieurs semaines à la maison, cloîtrée le temps que les marques s’effacent sur mon visage, puis quand j’ai été « malade » l’année dernière, mais ce n’est pas une personne chaleureuse, et elle n’outrepasse jamais sa position. Néanmoins, c’est une bonne cuisinière, et mon cours m’a ouvert l’appétit. Papa me jette quelques coups d’œil approbateurs en me voyant manger. J’ai perdu beaucoup de poids depuis l’année dernière, et il ne cesse de m’encourager à reprendre quelques kilos, alors qu’il a passé mon adolescence à me seriner que je devais faire attention à ne pas grossir.
-Alors, comment se passe ton stage ?
-Bien. Les gens sont plutôt gentils, et les photographes m’apprennent beaucoup de choses.
-Combien sont-ils ?
-Une dizaine, et puis il y a leurs assistants et l’hôtesse d’accueil, qui s’appelle Stéfie et est très sympa. En tout, ça fait une quinzaine de personnes.
-Il n’y a pas que des hommes, alors, fait-il d’un ton soupçonneux.
-Oh non. On est cinq filles à travailler là-bas.
Il hoche la tête mais fronce encore les sourcils.
-Les hommes se comportent bien avec toi ? Est-ce que certains t’ont fait des avances ?
-Non, papa, tout se passe bien, je réponds d’une voix un peu tendue. Du dessert ?
-Pas pour moi. Mais sers-toi.
Il attend que j’ai débarrassé nos assiettes, puis que je me sois ré-attablée avec mon ramequin de crème caramel pour reprendre :
-Tu dois faire attention à ne pas te retrouver seule avec un de ces photographes. Tâche de faire en sorte de ne pas te mettre dans une situation scabreuse.
-Oui papa, je réponds docilement.
-Bien. Jérôme a demandé de tes nouvelles, aujourd’hui.
Je lâche ma cuillère, et un goût de cendres envahit ma bouche. Une nausée menace de faire repartir en sens inverse tout ce que je viens d’avaler.
-Je… Je croyais que… Tu m’as dit…
J’ai les larmes aux yeux.
-Il a juste demandé de tes nouvelles, fait papa en haussant un sourcil faussement étonné. Rien de plus. Il est poli, c’est tout.
-Je ne veux pas le revoir.
-Il le faudra pourtant. Il viendra à la soirée que j’organise la semaine prochaine.
-Papa… je t’en prie…
-C’est un excellent membre du cabinet, il sera probablement associé d’ici quelques années. Il faudra t’habituer à le voir de temps en temps ici et lors de soirées d’entreprise. Par respect pour toi, j’ai attendu pour le réinviter, mais il faut dépasser tes réticences envers ce jeune homme.
-Je le déteste ! Tu m’avais promis, papa !
Je sanglote dans ma serviette de table, bouleversée par le retour de mon cauchemar absolu. Papa n’a pas renoncé à son projet fou. Qu’est-ce que je m’imaginais ? Il ne renonce jamais.
-Je n’ai rien promis du tout ! Et toi, tu as réagis de façon excessive ! m’admoneste-t-il, énervé. C’est un garçon très bien, il faut seulement que tu apprennes à le connaître.
-Je ne veux pas l’épouser ! Je me tuerai encore, papa, je te jure, je…
Une gifle me fait taire.
-Tais-toi ! crie papa.
Il se lève et me tire par le bras pour me mettre debout.
-Je ne veux plus rien entendre à ce sujet, murmure-t-il d’une voix menaçante, en articulant avec exagération, en me tirant par les cheveux pour m’obliger à lever la tête et à le regarder.
Mais je triche, et ferme les yeux. Il me gifle à nouveau.
-Tu m’obéiras, Heather. Ce n’est que pour quelques années. Au maximum. Si tu crois que ça me plaît… Mais tu seras plus heureuse avec des enfants, et nous pourrons rester ensemble pour toujours, après ton divorce. J’ai prévu un contrat en béton, et Jérôme ne renoncera pas à la récompense que je lui ai promise. Tout se passera bien.
Soudain, sa bouche s’abat sur la mienne, et il m’embrasse avec violence. Sa langue force le barrage de mes lèvres et s’engouffre à l’intérieur. Il m’embrasse rarement sur la bouche, je déteste ça. Je ne sais pourquoi, je trouve ça encore plus contre-nature que le reste. Le goût du sang envahit ma bouche. Sa langue dure me fouille avec avidité, tandis que sa main libre se faufile sous la robe légère que j’ai passée après ma douche. Elle se referme sur mes fesses et me presse contre son bassin. Je sens sa queue qui durcit entre nous.
-Heather… murmure-t-il avec passion en libérant ma bouche, avant de plonger son visage dans mon cou.
Je pleure en silence pendant qu’il couvre ma peau de baisers, qu’il la lèche et la mordille. Ses hanches se frottent contre mon bas-ventre, et son sexe est de plus en plus dur.
-Ma belle, belle chérie… Je t’aime tellement, Heather… chuchote-t-il en retroussant ma robe sur mes hanches, et en me poussant contre la table.
Il me soulève et m’assoit dessus, puis déchire ma culotte en la faisant glisser sur mes cuisses.
-Enlève-la, m’ordonne-t-il avant de reculer le temps de déboucler sa ceinture et d’ouvrir sa braguette.
Ses yeux sont braqués sur mon entrejambe, ses joues empourprées ; son torse se soulève au rythme de sa respiration précipitée. Son pantalon tombe sur ses chevilles, et sa queue dressée apparaît quand il baisse son caleçon.
-Ouvre, souffle-t-il en écartant mes genoux de ses mains.
J’obéis en tournant la tête sur le côté. Il me pénètre sans attendre davantage, brutalement, s’enfonçant d’un seul coup presque jusqu’à la garde. Il me fait mal. Les os de son bassin meurtrissent l’intérieur de mes cuisses pendant qu’il me prend sans douceur, se jetant en moi à corps perdu. Ses doigts sont enfoncés dans la chair de mes fesses, les miens crispés sur la table pour tenter de me retenir. Il jouit rapidement, puis son étreinte douloureuse s’adoucit, et il laisse retomber son visage en sueur sur ma poitrine. Il reste comme ça le temps que sa respiration se calme, puis m’embrasse dans le cou en me serrant contre lui.
-Ce ne sera pas si terrible, mon bébé, murmure-t-il. Je viendrai souvent te voir, et une fois que tu seras enceinte, nous pourrons…
Il détache une main de mes hanches et vient caresser un de mes seins.
-Il ne se mettra pas entre nous, ma chérie, je te prête seulement à lui. C’est pour ton bien que je le fais, parce que ce serait trop dangereux… je ne peux pas te mettre enceinte. Je sais que tu as eu de la peine quand… quand il a fallu renoncer à notre bébé. Tu pourras garder le sien. Et après, tu me reviendras. Le mariage ne durera pas longtemps. Tu te feras retirer ton implant contraceptif un peu avant les fiançailles, et tu passeras à la pilule micro-dosée jusqu’à ce que tu sois mariée, ainsi tu seras tout de suite fertile. Je suis d’accord pour que tu n’aies qu’un seul enfant, comme ça, dès que tu seras enceinte, vous pourrez entamer la procédure de divorce, et tu reviendras vivre avec moi. On dira que le mariage n’a pas marché, ça arrive tout le temps, personne ne s’en étonnera.
-Je ne veux pas d’enfant avec lui, je souffle avec haine.
-Tu n’es absolument pas raisonnable ! gronde papa en se détachant de moi.
Son sexe flasque glisse hors de moi, et papa se rajuste rapidement. Il passe sa langue sur ses lèvres en contemplant mes jambes ouvertes et son sperme qui coule de ma chatte glabre.
-Couvres-toi, chuchote-t-il en se forçant à détourner les yeux. Il y a trop de risque pour que je te féconde moi-même, à cause de la consanguinité. Tu n’es pas idiote, tu peux comprendre ça, quand même !
-Alors, je ne veux pas d’enfant du tout !
-Tu seras malheureuse si tu n’as pas d’enfant. Tu t’en iras, pour trouver ailleurs ce que je ne peux pas te donner.
Son visage se tord sous la souffrance que cette pensée lui cause. C’est mon père, et même si notre relation est perverse, contre-nature et complètement amorale, je n’aime pas le voir souffrir.
-Non, papa, je te jure que je resterai avec toi, si tu ne m’obliges pas à épouser Jérôme. Je ne supporterai pas qu’il me touche de nouveau. Je…
-Ça suffit, Heather ! s’écrie-t-il. Si tu crois que c’est facile de trouver quelqu’un pour un marché de ce genre ! Je ne peux pas, et je ne veux pas, choisir n’importe qui. Je sais mieux que toi ce dont tu as besoin, et ce qui te rendra heureuse sur le long terme. Tu verras, d’ici quelques années, tu me remercieras.
Je cache mes larmes entre mes mains.
-Je t’en supplie, papa…
-Tais-toi ! Je ne veux plus rien entendre ! Monte dans ta chambre et tâche de te faire à cette idée. Tu épouseras Jérôme cet été, et avec un peu de chance, d’ici Noël tu reviendras habiter ici, avec un petit dans le ventre. File !
Je m’enfuis en sanglotant.

4 commentaires:

  1. En train de le lire. J'aime beaucoup l'histoire mais de nombreuses erreurs typographiques et un code surchargé (je lis un epub converti depuis le fichier Kindle). Si vous avez une version epub je veux bien assurer la relecture et le recodage.

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  2. J'ai lu le livre et bien que je dois dire qu'il m'a autant retournée que bouleversée, il était très bien écrit. Dans certains passage j'ai même cru que mon coeur cesserait de battre, j'avais aussi envie de vomir (désolé) sur les scènes de viols mais il m'a véritablement bouleversée. Tu as réussi à mon goût à retranscrire chaques émotions des protagonistes. J'ai un peu des doutes qu'en à la création d'un tome 2, qui pour moi le tome 1 à eu une fin parfaite qui laisse place à l'imagination mais j'attends d'être surprise. Donc, bonne inspiration et j'attends la suite avec impatience, en tout cas ; continue !

    Ps : je me lance dans "Des étoiles à l'infini" ...

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    1. Merci beaucoup pour ton commentaire et tes compliments sur mon livre ! Le tome 2 sera effectivement assez surprenant, tu verras ; j'espère qu'il te plaira aussi (je pense pouvoir le sortir à la fin de l'année) ainsi que Des étoiles à l'Infini. Bonne lecture et n'hésite pas à revenir me donner ton avis :-)

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